Projet américain à Gaza : que dit le droit international ?

 |  par Rédaction Patmedias avec Thibaut Fleury Graff, Professeur à l’Université Paris Panthéon-Assas
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En déclarant que les États-Unis devraient « prendre le contrôle » de la Bande de Gaza et la « posséder » en vue d’en faire « la Riviera du Moyen-Orient », le Président Trump n’a pas seulement confondu opération immobilière et opération militaire : il a appelé à une violation grave des principes fondamentaux du droit international en général et du droit international humanitaire en particulier, sur un territoire relevant de la juridiction de la Cour pénale internationale.

TRUMP 1           ©patmedias.fr

 Quelle est la proposition des États-Unis concernant Gaza ?

Selon les déclarations de son Président, « les Etats-Unis vont prendre le contrôle de la bande de Gaza et [ils vont] faire du bon boulot avec », car ils en seront les « propriétaires à long terme ». Pour mettre en œuvre cette décision « qui n’est pas prise à la légère », les États-Unis proposent que les Palestiniens qui y résident aillent là « où ils pourront mener une vie magnifique sans craindre de mourir tous les jours » – c’est-à-dire surtout en Égypte et/ou en Jordanie, expressément mentionnés dans son discours par le Président américain. L’ensemble devra permettre de faire de la Bande de Gaza « la Côte d’Azur du Moyen-Orient ».

Quel est le statut actuel de la Bande de Gaza ?

L’histoire de la Bande de Gaza est particulièrement tourmentée, mais son statut juridique est assez clair, à tout le moins s’il est examiné sous l’angle du projet américain.

Territoire sous domination ottomane jusqu’en 1917, il est placé en 1922 sous mandat britannique. Ce mandat prend fin en 1947, et la proclamation d’Indépendance d’Israël en 1948 aboutit à l’occupation de Gaza par l’Égypte. Un armistice conclut en 1949 fixe des lignes de séparation qui sont encore aujourd’hui les frontières de ce territoire. Habité par de nombreux Palestiniens ayant fui leurs terres à la création d’Israël, Gaza demeure sous occupation égyptienne, puis israélienne.

En 1993 – et pour résumer à (très) gros traits – les accords d’Oslo font de l’Autorité palestinienne l’autorité de gouvernement des Palestiniens dans la bande de Gaza, laquelle constitue une « unité territoriale » avec la Cisjordanie et Jérusalem-Est. Aussi, et comme l’a rappelé tout récemment, dans son avis du 19 juillet 2024, la Cour internationale de Justice, « du point de vue juridique, le Territoire palestinien occupé constitue une seule et même entité territoriale, dont l’unité, la continuité et l’intégrité doivent être préservées et respectées (résolution 77/247 de l’Assemblée générale, par. 12 ; article XI de l’accord d’Oslo II ; résolution ES-10/20 (2018) de l’Assemblée générale, seizième alinéa du préambule ; résolution 1860 (2009) du Conseil de sécurité, deuxième alinéa du préambule ; résolution 2720 (2023) du Conseil de sécurité, quatrième alinéa du préambule) » (§78). La litanie des textes adoptés par l’ONU et énumérés ici par la Cour dit tant le caractère bien assis de cette qualification juridique, que la nécessité de la rappeler régulièrement.

Car les accords d’Oslo n’ont pas mis fin à l’occupation israélienne. Israël s’est maintenu militairement dans la bande jusqu’en 2005, avant de s’en retirer, tout en maintenant cependant le contrôle sur cet espace. Comme la Cour le rappelle dans le même avis, « Israël [a] conservé la faculté d’exercer, et continu[e] d’exercer, certaines prérogatives essentielles sur la bande de Gaza, notamment le contrôle des frontières terrestres, maritimes et aériennes, l’imposition de restrictions à la circulation des personnes et des marchandises, la perception des taxes à l’importation et à l’exportation, et le contrôle militaire sur la zone tampon, et ce, en dépit du fait que cet État a mis fin à sa présence militaire en 2005. Cela est encore plus vrai depuis le 7 octobre 2023 » (§93).

Ainsi, la bande de Gaza est un territoire dont le statut est défini par les accords d’Oslo, lesquels protègent son unité et son intégrité, mais qui se trouve actuellement sous occupation israélienne. Ces deux qualifications, tout comme le droit international général, emportent des conséquences juridiques que la proposition américaine méconnaît tout à fait – à tel point qu’elle constitue l’illustration rare d’un projet explicitement illicite, au sens du droit international général, et explicitement criminel, au sens du droit international pénal. A la différence de la Russie ou d’Israël, les États-Unis n’ont pas même tenté de revêtir leur entreprise des atours de la licéité internationale.

 

En quoi le projet des États-Unis de « prendre le contrôle de Gaza » viole-t-il le droit international ?

Les déclarations du Président américain pourraient constituer en elles-mêmes une violation du droit international : on rappellera en effet que la Charte des Nations Unies interdit en son article 2§4 « la menace » de recourir à la force contre « l’intégrité territoriale » ou « l’indépendance politique » de tout Etat, ou de « toute autre manière incompatible avec la Charte ». S’il est certes possible de discuter la qualité d’État de la Palestine, il est également possible de remarquer, d’une part, que le peuple palestinien a droit à l’autodétermination, protégé par l’article 1§2 de la Charte et, d’autre part, que la Palestine a le statut d’État en tant qu’observateur auprès de l’ONU (résolution 67/19 du 29 novembre 2012) et partie au Statut de Rome, ce qui confère par ailleurs compétence à la Cour pénale internationale (CPI) pour connaître des crimes perpétrés à Gaza : la délivrance récente d’un mandat d’arrêt contre Benyamin Netanyahou l’illustre, et confirme que la réalisation du projet américain entraînerait la délivrance d’un mandat similaire contre ses responsables.

Car, à de nombreux égard, une telle mise en œuvre emporterait une violation particulièrement grave et flagrante du droit international.

Pour ce qui relève du Statut de Rome, et donc de la compétence de la CPI, il faut tout particulièrement souligner ici la déportation, consistant en un déplacement forcé de population. En vertu de l’article 7 du Statut – qui s’inscrit dans la lignée de nombreuses stipulations similaires et coutumières, liant les États-Unis – on entend « par « déportation ou transfert forcé de population » », le fait de « déplacer de force des personnes, en les expulsant ou par d’autres moyens coercitifs, de la région où elles se trouvent légalement, sans motifs admis en droit international ». Il s’agit d’un crime contre l’humanité.

Il faut ajouter à cette première qualification la kyrielle – le terme est à peine trop fort – de crimes de guerre qu’une telle entreprise de déplacements forcés et de « reconstruction totale » de Gaza, comme l’a affirmé le Président américain, entraînerait : ils sont énumérés aux paragraphes 115 et suivants de l’avis rendu par la CIJ en 2024, si ce n’est qu’ils seraient ici, pour partie au moins, imputables aux États-Unis plutôt qu’à Israël, mais il faudrait connaître les détails d’une telle opération pour attribuer les responsabilités aux uns et aux autres. En toute hypothèse, la confiscation de terres, l’exploitation des ressources naturelles, l’extension d’une législation étrangère sur ce territoire, etc. : rien dans ce projet n’a la moindre once de licéité internationale et constitue une entreprise coloniale que le droit international prohibe absolument sous l’auvent même du principe qui, in fine, est celui qui est en cause ici : le droit inaliénable du peuple palestinien à son auto-détermination, que rappellent toutes les résolutions adoptées par les Nations Unies depuis plus de soixante-dix ans, et qui implique notamment le respect de son intégrité et son unité (Résolution 1514 (XV) de l’Assemblée générale et, par exemple, CIJ, Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif du 25 février 2019, not. §§153 et s.).

Le projet américain constitue ainsi une violation des principes les plus fondamentaux du droit international. Sa seule énonciation est d’ailleurs en elle-même une violation de l’obligation qui, « compte tenu de la nature et de l’importance des droits et obligations en cause », pèse sur « tous les États » de ne pas « reconnaître comme licite la situation découlant de la présence illicite d’Israël dans le Territoire palestinien occupé » ; l’ensemble des États sont de ce fait « tenus de ne pas prêter aide ou assistance au maintien de la situation créée par cette présence. Tous les États doivent veiller, dans le respect de la Charte des Nations Unies et du droit international, à ce qu’il soit mis fin à toute entrave à l’exercice du droit du peuple palestinien à l’autodétermination résultant de la présence illicite d’Israël dans le Territoire palestinien occupé » (CIJ, avis consultatif du 19 juillet 2024, §279). La promesse que des annonces seraient faites prochainement concernant la Cisjordanie laisse augurer de nouvelles violations de ces obligations – obligations qui, il faut manifestement le rappeler, protègent les États-Unis tout autant que n’importe quel autre sujet du droit international. C’est ainsi, et aussi, sa propre sécurité que le peuple américain joue en ces affaires.



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