La violence à l’égard des femmes et des filles reste la violation des droits humains la plus répandue dans le monde. Déjà accentuée par la pandémie de Covid-19, sa prévalence est maintenant encore accrue par les crises croisées du changement climatique, des conflits mondiaux et de l’instabilité économique.
À l’occasion de la campagne « 16 jours d’activisme contre la violence basée sur le genre », ONU Femmes encourage tous les acteurs à s’impliquer : depuis l’amplification des voix des survivantes et des activistes jusqu’à l’appui des organisations de femmes et le renforcement des mouvements féministes.
Hrystyna Kit est une avocate qui milite en faveur des droits des femmes ukrainiennes et Marwa Azelmat est une experte des droits numériques et une activiste engagée dans des mouvements et des organisations de défense des droits des femmes à travers le monde. Toutes deux luttent contre la violence à l’encontre des femmes et aspirent à un monde meilleur pour les femmes et les filles.
Hrystyna Kit, avocate qui milite en faveur des droits des femmes ukrainiennes, intervient également comme juriste et procureure. Elle est aussi cofondatrice de l’Association ukrainienne des femmes avocats JurFem, dont l’action est axée sur l’amélioration de la sensibilité au genre dans la communauté juridique et dans la législation ukrainienne, ainsi que sur l’amélioration de l’accès des survivantes à la justice.
Alors que l’invasion russe érode la sécurité des Ukrainiens dans tout le pays, le risque pour les femmes et les filles est double. « Il ne fait aucun doute que personne ne se sent en sécurité à cause de la guerre que mène la Russie contre l’Ukraine », déclare Hrystyna Kit dans un entretien accordé à ONU Femmes. « Et les femmes et les filles sont devenues encore moins protégées contre la violence basée sur le genre ».
Les cas de violence sexuelle surtout liés aux conflits sont en hausse : « Le viol – habituellement le viol en bande – la torture sexuelle, la nudité forcée […] et d’autres formes d’abus ont été documentés par les journalistes, les organisations de défense des droits humains et les organismes chargés de l’application de la loi ».
La véritable ampleur de cette violence n’est pas encore connue, déclare Hrystyna. Mais il est clair que ses impacts seront durables : « Nous aurons à travailler avec les conséquences de la [violence sexuelle liée aux conflits] pendant de nombreuses années ».
Parallèlement, les femmes se heurtent toujours à la violence endémique de leur propre société.
Les cas de violence domestique ou sexuelle à l’égard des femmes, en particulier dans les lieux publics, n’ont pas disparu
« Les personnes qui maltraitent et sont violentes au sein de la famille […] continuent de commettre des actes de violence », note Hrystyna Kit.
Le conflit en cours a rendu les progrès à accomplir beaucoup plus durs, souligne-t-elle. « Il est difficile de progresser dans la lutte contre la violence à l’égard des femmes lorsque vous vivez dans un état de guerre et que vous devez lutter pour votre vie et celle de vos enfants tous les jours ».
Dès le début de sa carrière en 2007, Hrystyna Kit a constaté qu’il existait un manque critique en matière d’assistance légale pour les survivantes de violence domestique. « Il n’y avait pas beaucoup d’avocats disposés à travailler sur de tels cas, car ce sont souvent des délits dissimulés », dit-elle. La violence domestique est généralement considérée comme une question privée, et le système juridique a tendance à transférer la responsabilité en matière de traitement de ces cas aux survivantes elles-mêmes.
Hrystyna Kit s’est donc engagée à changer cette situation. « Je veux que moi-même, ainsi que d’autres femmes et filles en Ukraine, se sentent en sécurité et que si leurs droits sont violés, elles [bénéficieront] d’une protection efficace, exempte de préjugés, de discrimination ou de stigmatisation », dit-elle.
En 2017, elle a franchi un pas majeur vers cet objectif en fondant JurFem. Le travail récent de l’organisation a été façonné par la crise en cours : collaborer avec des partenaires pour s’assurer que les survivantes de violence sexuelle liée aux conflits reçoivent une protection et un soutien de la part des fournisseurs de services légaux et d’application de la loi. Elles fournissent également une assistance directement aux survivantes, ayant lancé une ligne d’assistance juridique en avril.
« Ce n’est qu’uniquement à travers l’expérience et la pratique que nous pourrons changer notre approche en matière d’enquête sur les cas de violence sexuelle », déclare Hrystyna Kit. Même les protections juridiques les plus fortes ne peuvent pas forcer la police ou les juges de croire à ce que raconte une survivante. Mais en communiquant avec les organismes chargés de l’application de la loi et les tribunaux, « [les avocats de JurFem] peuvent briser les stéréotypes existants et assurer un accès à la justice par les survivantes ».
Pour Hrystyna Kit, il n’est pas nécessaire d’avoir des compétences ou de connaissances particulières pour s’impliquer dans une cause : « Chacun d’entre nous devrait travailler pour changer quelque chose en mieux ».
« Aujourd’hui, il est particulièrement difficile de se figurer un monde sans violence basée sur le genre », déclare Hrystyna Kit. « Après tout, si nous n’avons pas été en mesure de prévenir cette guerre, aurions-nous été en mesure d’éradiquer la violence basée sur le genre ? »
Elle pense qu’il est possible de réduire sa fréquence en créant de meilleurs mécanismes de réponse et en traduisant les auteurs de violence en justice. Elle croit en un avenir meilleur pour les femmes et les filles ukrainiennes : « La justice doit être rétablie », dit-elle, « afin que cela ne se produise plus ».
Marwa Azelmat est une experte des droits numériques et une activiste engagée dans des mouvements et des organisations de défense des droits des femmes à travers le monde. Elle se heurte à un obstacle majeur barrant la route au progrès : la violence en ligne à l’encontre des femmes et des filles.
Les gens ont tendance à ne pas prendre la violence en ligne au sérieux, explique-t-elle. « Je continue à entendre des commentaires du style “mais ce n’est qu’une insulte...” ».
Cela est faux. La violence en ligne à l’égard des femmes est une forme parmi d’autres de violences basées sur le genre dont elles sont la cible, et qui les empêche d’exercer pleinement leurs droits humains, en ligne ou ailleurs. « En fait ce qui se passe en ligne est le reflet de ce qui se passe dans la vie courante », souligne-t-elle dans un entretien accordé à ONU Femmes. « Et de la même façon […] que nous ne nous sentons pas en sécurité dans l’espace public, la rue, nous ne nous sentons pas non plus en sécurité dans l’espace numérique ».
Si la violence en ligne force les femmes à s’exclure du monde numérique, les implications peuvent aller très loin. Les campagnes qui prennent pour cible les femmes journalistes et défenseures des droits humains mettent en péril leur travail et, parfois leur vie.
[La violence en ligne à l’égard des femmes] doit être considérée comme une menace à l’ordre public
En outre, l’exclusion des femmes de l’économie numérique peut avoir des répercussions plus profondes sur le développement économique d’un pays. « [La violence en ligne à l’égard des femmes] doit être considérée comme une menace à l’ordre public », affirme Marwa Azelmat.
Mais l’ordonnancement juridique ne voit pas les choses de cette façon. Aux yeux de la loi, les agressions en ligne contre les femmes sont des incidents isolés. Et plutôt que d’examiner les causes sous-jacentes et d’investir dans des mécanismes de prévention, « d’aucuns tentent simplement de régler l’incident », indique Marwa Azelmat. De toute façon, il n’est généralement pas possible de faire grand-chose en réponse à une plainte puisqu’il incombe à la victime d’apporter les preuves – et un cyber-agresseur avisé les aura probablement effacées.
Aujourd’hui, les réactions antiféministes croissantes, associées à une dépendance accrue vis-à-vis des espaces numériques, font que la menace en ligne augmente pour les femmes. « Les mouvements s’auto-alimentent en ce moment [dans] les espaces en ligne », explique Marwa Azelmat, donnant aux militants anti-droits de nouvelles opportunités de s’y infiltrer.
Elle souligne que les gouvernements ont un devoir de protection : « Nous ne pouvons pas limiter la [liberté d’expression] simplement parce qu’elle est en ligne ».
Déjà lorsqu’elle était étudiante en ingénierie des technologies de l’information, Marwa Azelmat avait pris conscience de l’urgence liée au respect des droits des femmes dans le monde technologique. « J’avais le sentiment que le système était vraiment structurellement marginalisant, explique-t-elle. « Et le fait que plus de femmes s’engagent dans les filières STIM ne suffit pas. En fin de compte, nous avons des systèmes qui n’ont pas été conçus pour servir les femmes. »
Elle a donc étudié le droit international des droits humains, et s’est spécialisée en technologies de l’information et des communications (TIC). Elle a ensuite décidé de travailler avec des organisations de défense des droits des femmes, contribuant ainsi à resserrer la brèche entre les mouvements féministes et le secteur des technologies.
La protection des droits numériques des femmes requiert une action coordonnée des gouvernements et du secteur privé, souligne Marwa Azelmat. Selon elle, chacun d’entre nous a un rôle à jouer.
« Si vous êtes témoin de violences en ligne, ne fermez pas les yeux, dénoncez-les. Il faut solliciter les entreprises technologiques et les encourager à collaborer davantage avec les organisations de la société civile et les autorités publiques ; et il faut utiliser les forums disponibles pour les inciter à plus de redevabilité. […] Contrer la violence en ligne au niveau individuel, c’est commencer par ne pas tolérer l’impunité », explique l’experte.
Pour elle, un avenir sans violence en ligne est synonyme d’un univers cybernétique rempli de femmes et de filles sans craintes et libres de se connecter. « À l’heure actuelle, deux milliards de femmes ne sont toujours pas connectées [à Internet]. C’est énorme ! », constate-t-elle.
Mais l’enjeu va bien au-delà des chiffres. Et elle rêve d’un nouveau monde en ligne qui ne serait pas dominé par les intérêts d’une poignée d’hommes richissimes : « Un Internet féministe, alternatif, qui fonctionnerait pour tout le monde – non seulement les femmes, mais aussi les personnes ayant une autre identité de genre et les [autres] communautés marginalisées ». Voilà, selon elle, l’avenir pour lequel nous devrions nous battre.