Mariage en France et résidence irrégulière sur le territoire : chronique d’une censure annoncée

 |  par Rédaction Patmedias avec Patrice Hilt, Professeur à l’Université de Strasbourg, Directeur du Master Droit de la famille interne, international et comparé
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La proposition de loi adoptée le 20 février 2025 par le Sénat vise à interdire le mariage en France à toute personne séjournant de manière irrégulière sur le territoire. Elle fait suite au refus par plusieurs élus, de marier des Français à des étrangers sous obligation de quitter le territoire français. Pourquoi, malgré un large soutien, ce texte est-il voué à la censure ?

Un tel mariage est-il aujourd’hui permis par notre droit ?

La réponse à cette interrogation est absolument certaine : notre droit n’interdit pas qu’un tel mariage puisse être célébré. En effet, aucun article du Code civil ne subordonne la validité d’un mariage à la régularité des futurs époux sur le territoire français. Bien plus, une telle condition ne peut être posée car elle contreviendrait directement à la liberté matrimoniale telle que garantie, depuis des décennies, tant par d’importantes normes supranationales (p.e. l’art. 16-1 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, l’art. 12 de la Convention européenne des droits de l’Homme ou encore l’art. 9 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne) que par notre Conseil constitutionnel qui lui a conféré une valeur constitutionnelle.

Ce n’est pas la première fois qu’une telle proposition est faite. En effet, dans la version initiale de la loi n°2003-1119 du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l’immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité – dite loi Sarkozy -, le Gouvernement souhaitait pareillement ériger la régularité du séjour du futur conjoint sur le territoire français en une nouvelle condition de validité du mariage. Ce projet avait été invalidé par le Conseil constitutionnel qui, dans sa décision n°2003-484 rendue le 20 novembre 2003, affirma sans ambages « que le respect de la liberté du mariage […] s’oppose à ce que le caractère irrégulier du séjour d’un étranger fasse obstacle, par lui-même, au mariage de l’intéressé. »

Quels sont les pouvoirs du maire et du procureur de la République en la matière ?

En la matière, le maire ne dispose légalement d’aucun pouvoir particulier : il est tenu par la loi de célébrer un tel mariage, sans pouvoir invoquer une quelconque clause de conscience, au risque d’encourir des sanctions civiles (amende civile, dommages et intérêts…), disciplinaires (suspension de son mandat, révocation), administratives (démission déclarée par décision de justice) voire pénales (amende pénale, emprisonnement, inéligibilité…). Techniquement, la voie de l’opposition à mariage lui est également fermée puisque le Code civil la lui refuse, l’officier de l’état civil ne figurant pas parmi les personnes qui sont autorisées en France à s’opposer à la célébration d’un mariage. Certes, rien n’interdit au maire de saisir le procureur de la République qui, quant à lui, dispose de ce droit (art. 175-1 C. civ.). Mais la seule résidence irrégulière de l’un des futurs époux sur le territoire français ne permettra pas au Parquet d’agir puisque son opposition à mariage doit nécessairement être fondée sur la méconnaissance d’une condition de validité du mariage. Or, et nous l’avons dit, la régularité sur le sol français n’en est pas une. Une échappatoire pourrait alors consister, pour le ministère public, de s’opposer au mariage en prétextant que ce dernier est de complaisance, ce qu’interdit l’article 146 du Code civil. Mais la chose n’est pas aisée car il lui appartiendra alors de rapporter les preuves du défaut d’intention matrimoniale, étant entendu que, selon le Conseil constitutionnel, le caractère irrégulier du séjour en France de l’un des futurs époux ne saurait faire présumer, à lui-seul, l’absence de consentement sérieux à l’union.

Si le maire a donc l’obligation de célébrer un mariage lorsque l’un des futurs époux est en situation irrégulière, rien ne lui interdit, une fois le mariage célébré, de signaler au procureur de la République l’irrégularité sur le territoire français de l’une des personnes qu’il vient de marier, à charge, pour celui-ci, de mettre en œuvre une mesure d’éloignement. Mais, pour cela, encore faut-il que cet époux ne puisse faire valoir son droit de mener une vie familiale, lequel est pareillement protégé par les textes en vigueur.

En principe, le mariage d’une personne résidant de manière irrégulière sur le sol français produira tous ses effets, comme n’importe quelle autre union. Toutefois, deux dispositions de notre droit ne lui seront pas pleinement applicables : d’une part, cet étranger, ainsi marié avec un ressortissant français, ne pourra pas se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale », ce qui l’empêchera de solliciter par la suite une carte de résident (art. L. 423-2 a contrario CESEDA) ; d’autre part, l’irrégularité de son séjour en France le privera de la possibilité d’acquérir la nationalité française dans les conditions fixées par l’article 21-2 du Code civil, la jurisprudence considérant généralement que le délai de quatre voire cinq ans prévu par ce texte doit correspondre à une présence régulière sur le sol français.

Si, au terme du processus législatif, la proposition du sénateur Stéphane Demilly devait finalement être inscrite dans une loi, pourquoi celle-ci serait-elle nécessairement vouée à la censure ?

Pour les raisons que nous avons évoquées plus haut : le droit de se marier est une liberté fondamentale, qui doit être reconnue à tous. Et puisque cette liberté a été élevée dans notre droit au rang d’une règle juridique à valeur constitutionnelle, aucune loi ne peut y déroger. La censure viendra ainsi du Conseil constitutionnel, qui pourra être saisi entre le vote de la loi et sa promulgation par un nombre limité de personnes (Président de la République, premier Ministre, Président de l’Assemblée nationale, Président du Sénat, 60 députés ou 60 sénateurs) mais également, depuis une réforme opérée en 2008, après son entrée en vigueur par tout citoyen au moyen d’une question prioritaire de constitutionnalité. La loi sera alors déclarée contraire à la Constitution, et interdiction sera faite aux juges du fond de l’appliquer.

Bien évidemment, on peut toujours imaginer que le Conseil constitutionnel puisse opérer, en la matière, un revirement de sa jurisprudence. Cela relève cependant quelque peu de l’utopie, en raison du poids considérable attribué au droit de se marier tant en droit interne qu’en droit européen des droits de l’Homme ou encore en droit de l’Union européenne. Et même si cela devait se produire, le justiciable pourrait encore saisir la Cour européenne des droits de l’Homme qui entrera assurément en voie de condamnation, compte tenu de l’importance qu’elle accorde avec vigueur et constance à la liberté matrimoniale.

Face à ces éléments connus de tous, on s’étonnera simplement qu’une telle proposition de loi ait pu être formulée. Il s’agit à l’évidence d’un texte de circonstances, qui fait écho à des faits de l’actualité récente et s’inscrit dans le contexte de plus en plus sécuritaire dans lequel est plongé notre pays, comme d’ailleurs bon nombre d’autres États européens. Selon le sénateur Stéphane Demilly, les « brèches » de la législation actuelle mettent « en péril nos politiques publiques migratoires ainsi que la sécurité de nos élus. » Si la volonté des partisans de ce texte est de sanctionner l’étranger qui est entré de manière irrégulière en France, lui interdire le mariage ne peut assurément être la solution. En revanche, d’autres voies, moins risquées juridiquement, peuvent être envisageables comme le durcissement des effets qu’un tel mariage peut produire, en veillant toutefois à ne pas tomber dans la discrimination. D’autres soutiendront encore que l’issue la plus simple et la plus évidente est de pénaliser à nouveau le séjour irrégulier en France car, faut-il le rappeler, depuis une loi n°2012-1560 du 31 décembre 2012, le fait pour un étranger de séjourner sur le territoire français en situation irrégulière n’est plus pénalement répréhensible. Auparavant, il constituait un délit punissable d’un an d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende.



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