Vue imprenable sur la marée montante des pots d'échappement. Le tuk tuk, c'est ce petit véhicule, genre scooter à habitacle mais sans marchepied, ouvert à tous les vents, inévitablement englué entre les voitures qui flirtent en dodelinant du pare-choc, faute d'avancer. Circulation oppressive. Thrombose macadam. En avant dans la jungle urbaine.
À Bangkok, une virée en tuk tuk tient du gymkhana, de l'expérience initiatique et d'un épisode de fantasia à l'air libre. C'est pétaradant, limite fétide en raison des embouteillages dantesques de la mégapole siamoise. Un air bleuté composé de nappes toxiques enrubanne l'objet pittoresque toujours enclin à un numéro de locomotion-commotion. A bord, le parcours forcément cahotique requiert un sens éprouvé de l'équilibre dans une petite nacelle vissée à l'arrière de ce drôle de tricycle vrombissant. Dès qu'il le peut, c'est en mode plein gaz qu'il s'élance dans les artères rectilignes de la Cité des Anges où tout véhicule se doit de rouler à tombeau ouvert, séquence salaire de la peur. Ou alors, autre décor, il s'enfonce en rugissant dans la myriade des ruelles enchevêtrées, grouillantes des mille activités du petit peuple affairé. Conduite désordonnée, brusque, impétueuse, foutraque.
À coup de virages sur les chapeaux de roue et de soubresauts dûs aux maints dénivelés qui surgissent ça et là au long des rubans d'asphalte torsadés par la chaleur. Ajoutez, pour faire bonne mesure, une kyrielle de nids de poule, crevasses et autant de protubérances difformes qui parsèment la chaussée dans les quartiers périphériques. Rodéo pour citadins trompe-la-mort. Moment de vérité pour les coeurs peu habitués à tambouriner en tempo grosse caisse. Exercice des plus éprouvants pour les estomacs insuffisamment accrochés au reste de la tubulure intestinale et autres boyaux brinquebalants jusqu'à la nausée. Mais aussi, sensation physique de forte intensité, assimilable à un corps à corps sensuel avec une capitale trépidante, enfiévrée, frénétique. Comme une finale de sport extrême à immortaliser dans un déluge de selfies et de vidéos en saccades. Il faut plonger au moins une fois dans sa vie dans ce bain à émulsion rapide. Choper le tournis dans un carrousel débridé.
Tout en s'accrochant, en quête de points d'appui, à d'invisibles parois. En serrant les dents, les coudes et les fesses. En s'arrimant à la banquette en skaï lustré. Énivré par les flots d'une musique criarde échappée en continu de baffles aussi démesurés que des haut-parleurs, aveuglé par les éclairages stroboscopiques qui tapissent guidon et tableau de bord.. L'épreuve tuk tuk est une parenthèse cathartique dans un séjour enchanté au plus beau des Royaumes. La rédemption au bout du champ de mines. Last but not least, la moindre course est hors de prix. Se négocie à un tarif prohibitif spécial gogos. Traduisez touristes. Surtout s'ils sont Farang. Mais au moins, le chauffeur de tuk tuk saura vous arnaquer avec un sourire panoramique.