La nette victoire de ce partisan d’une transition douce vers l’indépendance pourrait placer son camp en position de force vis-à-vis de l’Etat français pour négocier un référendum d’autodétermination du territoire.
Le mouvement indépendantiste poursuit sa progression en Polynésie française. Moetai Brotherson a été largement élu, vendredi 12 mai, président du territoire par les représentants de l’Assemblée locale de cette collectivité du Pacifique Sud. Cet ancien pilier de rugby de 53 ans, favorable à une transition douce vers l’indépendance, a été choisi par les 38 représentants indépendantistes de l’Assemblée, élus lors des élections territoriales du 30 avril.
Dans une Assemblée territoriale de 57 sièges, où les indépendantistes disposent ainsi d’une majorité absolue, les représentants ont accordé également seize voix au président autonomiste sortant, Edouard Fritch, et trois à une autre candidate autonomiste, Nicole Sanquer. La veille, ils avaient élu un autre indépendantiste, Antony Géros, à la tête de l’Assemblée.
« Avec responsabilité et respect, nous mènerons ensemble un travail exigeant pour répondre aux problématiques que rencontrent les Polynésiens au quotidien », a réagi samedi matin, sur Twitter, le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, adressant ses « félicitations » au nouveau président.
La nette victoire électorale de M. Brotherson pourrait placer son camp indépendantiste en position de force vis-à-vis de l’Etat français pour négocier un référendum d’autodétermination du territoire formé de cinq archipels, grand comme l’Europe, à 17 000 kilomètres de Paris. Son programme et sa personnalité plus consensuelle que les cadres historiques de son mouvement lui ont permis de séduire une partie de l’électorat autonomiste, majoritaire et jusqu’à présent vent debout contre son parti.
Dans son discours, M. Brotherson a assuré la France de son « respect » tout en appelant la population à ne « pas craindre l’indépendance », qui ne sera « jamais imposée » aux Polynésiens. Malgré la réinscription, en 2013, de la Polynésie française sur la liste des Nations unies des territoires non autonomes à décoloniser, Paris n’a jamais souhaité engager de négociations autour de la décolonisation de cette collectivité.
Loin de l’esprit apaisé affiché par Moetai Brotherson, le nouveau président de l’Assemblée, Antony Géros, a estimé dans son premier discours que la France avait « usé de son autorité pour faire et défaire les majorités au gré de son intérêt, jusqu’à venir instrumentaliser les élus » pendant l’instabilité politique, entre 2004 et 2013.
Antony Géros, un proche d’Oscar Temaru, le président fondateur du Tavini Huiraatira, représente la ligne radicale du parti indépendantiste polynésien, qui souhaite une indépendance rapide. Moetai Brotherson a, au contraire, fait savoir qu’il espérait un référendum d’autodétermination « dans dix à quinze ans » et estimé « ne [pas pouvoir] y arriver dans les cinq ans qui viennent dans de bonnes conditions ».
Leur large majorité n’ayant pas grand-chose à craindre de l’opposition autonomiste, la principale interrogation porte sur la cohabitation entre ces deux lignes internes, dont l’une va contrôler le gouvernement et l’autre l’Assemblée.
Moetai Brotherson est né le 29 octobre 1969 à Papeete d’une mère institutrice et d’un père infirmier. Ingénieur en informatique et en télécommunication, il travaillera successivement en France, au Japon, en Allemagne et aux Etats-Unis où il assiste aux attentats du 11 septembre 2001. Cet évènement tragique le conduira à revenir au Fenua, le nouveau Président s’engage très tôt en politique, en 2004, au sein du mouvement politique le Tavini Huiraatira. Il devient conseiller municipal de la commune de Faa’a, la plus importante du pays dès 2014. En 2017 il devient député à l’Assemblée nationale où il sera réélu en 2022 et il entre à l’assemblée de la Polynésie française où il est élu Représentant en 2018 et réélu en 2023.
Moetai Brotherson est marié à Teua Temaru, la fille du l’ancien Président Oscar Temaru et de leur union naitra un enfant. Il est également père de quatre enfants issus d’une première union. Homme de consensus et d’écoute, humaniste, le Président est aussi écrivain, auteur d’un ouvrage « Le Roi absent », paru en 2007 (aux éditions « Au vent des iles »), œuvre de fiction oscillant entre le conte et l’évocation à la mythologie polynésienne et la quête identitaire d’un peuple spectateur de sa propre perdition, au travers des aventures de son jeune héros Moanam qui porte un regard interrogatif sur le monde qui l’entoure, et qui pourrait être chacun de nous. On trouve dans ces lignes l’esprit qui devait naturellement conduire Moetai Brotherson à s’engager en politique au service de son pays jusqu’à occuper les plus haute fonction de Président de la Polynésie française.