Le Conseil constitutionnel a validé l’essentiel de la réforme des retraites, qu’Emmanuel Macron a officiellement promulguée dans la nuit. La crise sociale et politique est désormais aussi institutionnelle. Les derniers garde-fous ont disparu. La voie est pavée pour les régimes illibéraux.
Olivier Dussopt tient enfin un motif de satisfaction. Vendredi soir, le ministre du travail a sauté sur son compte Twitter pour se féliciter de la décision du Conseil constitutionnel sur la réforme des retraites et répéter que ses services étaient mobilisés pour sa mise en œuvre au 1er septembre. Comme attendu, l’institution présidée par Laurent Fabius venait de confirmer, quelques minutes plus tôt, l’essentiel du texte, dont le fameux recul de l’âge légal de départ à 64 ans.
Seuls six « cavaliers sociaux » – ces dispositions qui n’ont rien à faire dans un projet de loi budgétaire – ont été censurés. C’est notamment le cas de l’index des seniors et de l’expérimentation d’un « CDI seniors » auxquels plus personne ne croyait vraiment. Le Conseil constitutionnel a aussi rejeté la demande de référendum d’initiative partagée (RIP) déposée par la gauche mi-mars. La seconde demande, enrichie et lancée la veille par les mêmes, fera l’objet d’une nouvelle décision le 3 mai.
Emmanuel Macron lors de sa visite sur le chantier de la cathédrale Notre-Dame de Paris, le 14 avril 2023.
© Photo Sarah Meysonnier / Pool / AFP
Les soutiens d’Emmanuel Macron ont salué à l’envi « la fin », « le terme », « l’aboutissement » – c’est selon – de ce qu’ils aiment à qualifier de « cheminement démocratique », faisant mine d’oublier que la démocratie ne peut se porter bien lorsqu’elle oublie son caractère social. Or c’est bien la démocratie sociale que le pouvoir et, avec lui, les « Sages » de la rue de Montpensier ont achevée le 14 avril.
Insistant sur le fait qu’il devait vérifier « la conformité à la Constitution » et « non trancher tous les débats que la réforme des retraites peut soulever », le Conseil constitutionnel s’est contenté de reconnaître que « l’utilisation combinée des procédures mises en œuvre a revêtu un caractère inhabituel », sans pour autant « rendre la procédure législative contraire à la Constitution ». Si sa décision clôt les débats autour de la légalité du texte, elle ne le rend pas plus légitime.
L’intersyndicale ne s’y est d’ailleurs pas trompée. Dans un communiqué appelant à « une journée de mobilisation exceptionnelle et populaire contre la réforme des retraites et pour la justice sociale » le 1er mai, elle a réitéré « solennellement » sa demande au chef de l’État de ne pas promulguer sa loi, « seul moyen de calmer la colère qui s’exprime dans le pays ». D’ici là, aucun des syndicats ne se rendra à un rendez-vous avec l’exécutif « dont l’ordre du jour ne serait pas le retrait de la réforme ».
Sans surprise, Emmanuel Macron en a décidé autrement. La réforme des retraites a donc été promulguée dans la nuit et figure au Journal officiel du samedi 15 avril. Selon l’article 10 de la Constitution, le président de la République aurait pu, avant l’expiration du délai légal de 15 jours, « demander au Parlement une nouvelle délibération de la loi ou de certains de ses articles » –, c’est d’ailleurs ce que réclamait le patron de la CFDT Laurent Berger. Mais cette option n’a même pas été envisagée.
Malgré la volonté des opposant·es au texte de poursuivre la mobilisation, le pouvoir s’estime en mesure de fermer le ban. Droit dans ses bottes, comme dirait un membre du Conseil constitutionnel, il espère clore ce qu’il considère comme une énième « séquence » de la série Netflix qui se joue à l’Élysée depuis six ans. Et dans laquelle les corps intermédiaires, comme les millions de travailleuses et travailleurs mobilisés depuis des semaines, sont cantonnés aux rôles de figurants.
Dans les couloirs ministériels, les rumeurs vont déjà bon train sur la façon dont Emmanuel Macron compte « reprendre la main ». Il est question de remaniement, de nouvelles priorités législatives, de compromis politiques avec les un·es et les autres. Rien qui puisse répondre aux colères qui s’expriment un peu partout en France, où l’extrême droite, arrivée au second tour de la présidentielle pour la deuxième fois consécutive, n’a jamais été aussi puissante.
Le fait que le chef de l’État considère pouvoir achever tranquillement son mandat dans une telle situation de crise sociale, politique et institutionnelle relève du mystère le plus absolu. Sans majorité à l’Assemblée nationale, isolé en son palais, contraint d’utiliser la force pour mater les aspirations de la société, Emmanuel Macron s’accroche à ses politiques en faveur des plus riches et au mépris de l’urgence climatique, sans jamais réfléchir au peu de cohésion sociale demeurant dans le pays, qu’il semble vouloir balayer avec le zèle des liquidateurs.
En faisant du Conseil constitutionnel l’arbitre de ses propres errements politiques, il a entraîné avec lui les institutions françaises, déjà fortement décriées. La Ve République était à bout de souffle. Elle n’a désormais de républicain que le vernis. Comme l’expliquait récemment le professeur de droit constitutionnel Dominique Rousseau, l’institution de la rue de Montpensier tenait aujourd’hui l’occasion de montrer son « indépendance » en jouant « pleinement son rôle de gardien du bon fonctionnement de la procédure et du débat parlementaire ».
Mais le Conseil constitutionnel a préféré consacrer son caractère factice et anachronique, confirmant son profil d’ultime recours judiciaire face aux faits d’un prince et de sa cour à qui ses membres doivent leur nomination. Bien loin du rôle alloué aux cours suprêmes des démocraties voisines, qui n’en finissent plus de constater à quel point les monarques républicains français se vautrent dans des pouvoirs absolutistes d’Ancien Régime, là où d’autres pays – parfois monarchiques – ont développé une pratique parlementaire bien plus respectueuse des citoyen·nes.
En définitive, les « Sages » – qui n’en portent plus que le nom – ont créé un précédent dangereux. Ils ont rendu une décision aussi brutale que technique, sur laquelle pourront s’appuyer tous les gouvernants qui voudront tordre les principes constitutionnels, contourner les droits du Parlement et s’asseoir sur la séparation des pouvoirs. Les derniers garde-fous ont disparu. La voie est désormais pavée pour les régimes illibéraux. Si l’extrême droite devait arriver au pouvoir, elle pourrait revendiquer avec sincérité sa continuité de la pratique institutionnelle, mêlant mépris du Parlement, annihilation de la démocratie sociale et répression policière des contestations.