Depuis 2022, les campagnes précédant les élections législatives ont été marquées par la question du nom du Premier ministre qui devrait s’imposer à l’issue du scrutin. Cette pratique politique est inspirée par le régime parlementaire britannique dans lequel le chef du parti vainqueur des élections devient automatiquement le Premier ministre et le souverain est « obligé » de nommer.
Le système britannique, simple en apparence, est facilité par un mode de scrutin uninominal à un tour qui permet de dégager une majorité. Rien de tel en France. La Constitution de 1958 est particulièrement laconique en prévoyant que « Le Président de la République nomme le Premier ministre » (article 8). Aucune condition, aucun critère de sélection ne sont prévus pour guider le choix et la liberté présidentielle semble totale. Les pouvoirs du Président, sous la Vème République, sont bien plus étendus que ceux d’un chef d’Etat dans un régime parlementaire classique, qu’il s’agisse d’un roi ou d’un président. Il ne peut être, en théorie, tenu par le résultat d’élections législatives auxquelles il est étranger. Il n’est ainsi pas prévu par ce texte que le chef du Gouvernement appartienne à la majorité parlementaire. La Constitution de la IVème République était fort différente, au moins jusqu’à la révision du 7 décembre 1954 : il était prévu que « Le président du Conseil et les ministres ne peuvent être nommés qu’après que le président du Conseil ait été investi de la confiance de l’Assemblée au scrutin public et à la majorité absolue des députés, sauf cas de force majeure empêchant la réunion de l’Assemblée nationale » (article 45, alinéa 3).
La coexistence de majorités présidentielle et gouvernementale différentes a entraîné des pratiques qui ont paru s’éloigner de cette liberté discrétionnaire du Président. Au début de la première cohabitation (1986-1988), la question de la liberté du choix du Premier ministre s’est posée de manière nouvelle. Certains observateurs estimaient que François Mitterrand aurait pu ne pas être tenu par le résultat d’élections qui ne lui étaient pas favorables et qu’il pourrait même choisir de nommer un Premier ministre susceptible de réunir des ministres de la majorité et de l’opposition parlementaire. Tel ne fut pas le choix du Président qui fut « contraint » de nommer, en qualité de Premier ministre, Jacques Chirac, chef du parti majoritaire au sein de la coalition de la droite et du centre, élue majoritairement en mars 1986. Ce même scénario a été respecté, à front politique renversé, lorsque Jacques Chirac, devenu Président de la République, eut à nommer, après des élections ayant suivi une dissolution d’Assemblée nationale, Lionel Jospin qui dirigeait le parti socialiste, formation dominante de la majorité « Gauche plurielle » élue les 25 mai et 1er juin 1997.
Le cas de figure fut différent en 1993. Jacques Chirac ayant émis le souhait de ne pas « retourner à Matignon », c’est un autre Premier ministre qui fut nommé, en la personne d’Edouard Balladur, mais lui aussi issu de l’imposante majorité de droite sortie des urnes en mars 1993. Cette désignation ne fut pas sans conséquence sur les luttes fratricides entre les deux hommes lors de l’élection présidentielle de 1995. Devenir Premier ministre comporte en effet des risques politiques.
En 2022, le responsable de La France Insoumise, Jean-Luc Mélenchon, s’était autoproclamé futur Premier ministre, transformant les élections législatives en une sorte d’élection directe du chef du Gouvernement. Cette candidature s’imposait du fait de son score de 22% des suffrages exprimés lors du premier tour de l’élection présidentielle du 10 avril 2022. Le cas de figure de 2024 est fort différent, mais le bal des prétendants aux fonctions de Premier ministre a commencé très tôt au sein de la coalition du Nouveau Front populaire. L’image du chef de la France insoumise apparaît plus négative et son parti politique n’est arrivé qu’en troisième position lors des élections européennes du 9 juin 2024, avec 9,9% des suffrages, assez loin derrière la liste Réveiller l’Europe rassemblant le Parti socialiste et Place publique (13,6% des suffrages). En outre, ces élections législatives ont été provoquées par une dissolution de l’Assemblée nationale et un délai très court a été imposé aux forces politiques pour désigner leurs candidats.
Plusieurs suggestions ont été alors avancées. Selon les unes, le groupe parlementaire le plus important (avant la dissolution ou, plus logiquement, après celle-ci ?) devrait proposer un nom. Reste à savoir à qui cette proposition devrait être faite. Directement au Président de la République ou aux autres groupes qui seraient amenés à le « choisir » ? Ce cas de figure n’est pas envisageable dans le cas d’un parti hégémonique, et non pas d’une coalition, dans lequel le « leader » s’impose de lui-même.
Une autre suggestion propose un vote, sans préciser qui l’organiserait et quels en seraient les électeurs. A priori, les députés se réclamant de cette coalition seraient les électeurs naturels et la majorité des voix pourrait se porter sur le candidat présenté par le parti qui aurait obtenu le plus de sièges. Le nombre de sièges dépendra aussi du nombre d’investitures accordées à chaque parti membre de la coalition. En effet, La France insoumise n’a obtenu que 40% des investitures pour ces législatives de 2024 contre 60% en 2022.
Encore faudrait-il, dans la logique d’un régime parlementaire classique, que le futur Premier ministre soit lui-même élu en tant que député, et donc candidat. Tel n’est pas le cas, en 2024, de M. Mélenchon. Il est vrai que, sous la Vème République, il n’est pas écrit que le chef du Gouvernement doive être nécessairement un député…ou un sénateur.