Madagascar est au bord de la famine, en particulier le sud du pays. La raison principale : le changement climatique. L’insécurité alimentaire ne cesse de s’aggraver et touche 1,5 million de personnes. Le nombre d’enfants souffrant de malnutrition aiguë sévère est en augmentation. Ces deux derniers mois, l’UNICEF, le Fond des Nations Unies pour l’enfance, a traité 14.000 enfants, un chiffre normalement enregistré au cours de toute une année.
Contrairement à d’autre pays africains, aucun conflit n’entre en jeu dans la situation que subit le sud de Madagascar. L’île est particulièrement exposée aux cyclones en raison de sa situation géographique dans l’océan Indien. En moyenne, 1,5 cyclone touchent les côtes malgaches chaque année et chaque cyclone majeur affecte 700.000 personnes en moyenne. Cependant, ces chiffres sont en augmentation à cause du réchauffement climatique.
Le dérèglement climatique a également augmenté la fréquence des épisodes de sécheresse et d’autres catastrophes comme les inondations et les essaims de criquets. La région dite du Grand Sud, qui est la plus pauvre du pays, est également la plus exposée aux risques climatiques. Cette région souffre aussi d’un manque chronique d’infrastructures et d’investissements publics. C’est dans cette région que l’État est le plus faible et le moins à même de faire face aux défis cumulés de la pandémie et du réchauffement climatique.
Dans une interview accordée à ONU Info, Jean-Benoit Manhes, Représentant adjoint de l'UNICEF à Madagascar explique que les enfants sont les premières victimes de ce changement climatique L’entretien a été édité par souci de clarté.
Jean-Benoit Manhes : Madagascar est un pays parmi les plus pauvres du monde avec 77% de la population qui vit dans l’extrême pauvreté. La situation dans le sud est structurellement difficile avec des conditions climatiques très dures. Ces conditions ont été aggravées au cours des dernières années par le changement climatique, et aussi par la détérioration économique liée à la Covid-19.
Jean-Benoit Manhes : Les enfants une fois de plus, même si la situation peut être contrastée selon les villages, sont les premières victimes, principalement du fait que la sécheresse se traduit par un manque d'eau qui conduit les populations locales à utiliser n'importe quelle source d'eau. Cc qui va créer des maladies, des diarrhées qui vont affaiblir les enfants. Cet affaiblissement, lorsqu'il est combiné à une insuffisance alimentaire, va conduire l'enfant à la malnutrition aiguë sévère.
Et pour vous donner une idée de l'échelle, on prévoit à peu près 110.000 enfants qui seront affectés par une malnutrition aiguë sévère, donc, qui auront besoin d'une réhabilitation thérapeutique. Au cours des deux derniers mois, nous en avons traité 14.000, ce qui est d'habitude le nombre d'enfants que nous traitons sur une année entière.
Jean-Benoit Manhes : Notre force, c'est d'être sur le terrain dans les trois régions les plus les plus impactées, avec des personnels qui représentent tous les secteurs : l'eau, la santé et la nutrition, la protection de l'enfance, l'éducation. Ce que l'on fait, c'est aider ces enfants qui sont à la limite de la famine et assurer qu’ils ne franchissent jamais cette limite. Pour cela, nous avons des systèmes de détection, des systèmes d'information des familles, et surtout des systèmes de traitement des enfants auxquels nous fournissons également de l'eau et une protection sociale pour éviter qu'ils ne soient à nouveau confrontés aux causes qui les ont rendus malnutris. Nous travaillons en coopération avec le gouvernement, les ONG et les autres agences des Nations Unies pour fournir autant que possible une aide concertée, cohérente et intégrée et s'assurer que ce qu'on apporte vise à assurer non seulement une survie, mais aussi un développement de l'enfant.
Jean-Benoit Manhes : Il y a un impératif humanitaire auquel on doit répondre, auquel nous répondons avec nos partenaires. Mais cela doit se faire dans la vision de renforcer la résilience des populations, de renforcer la participation des populations, de renforcer les systèmes de réponse. Donc, nous, on travaille beaucoup avec le système national de santé qu'on renforce au quotidien. On travaille beaucoup avec le système éducatif, avec le système de nutrition et on s'assure qu’on appuie cela par des ouvrages pérennes, notamment dans le secteur de l'eau. C'est une sécheresse, qui ne surprend personne, mais elle surprend par sa sévérité, par sa durée. C'est une zone qui est fréquemment sujette à une provision limitée d'eau. Et donc construire des grands systèmes, des systèmes pérennes plutôt que simplement apporter de l'eau en camion-citerne est une stratégie qui non seulement va servir à répondre à l'impératif humanitaire, mais va également poser les bases d'un développement un peu plus soutenable du sud de Madagascar. Cela dit, il faut également que le gouvernement, appuyé par ses partenaires internationaux, renforce les grandes infrastructures de communications du développement économique du sud de Madagascar.
Jean-Benoit Manhes : Ce qui est difficile, en effet, à Madagascar, on ne sait pas par où commencer. Parce que oui, certes, l'urgence du Sud est la partie la plus visible, mais être un enfant Madagascar, c'est en effet - et nos partenaires du gouvernement le savent pertinemment - un défi en termes d'accès à une éducation de qualité, en termes d'accès à des soins de santé de qualité, en termes d'accès à des aliments nutritifs de qualité. La pauvreté a été aggravée également par l'isolement que la Covid a créé.
Notre approche est de renforcer le capital humain. Notre vision n’est pas d'arriver simplement avec une aide d'urgence qui ne durera qu'un temps, notre vision, c'est de mobiliser la société pour apporter des réponses pérennes le plus possible, en utilisant des systèmes, et en utilisant des interventions qui se renforcent. Par exemple, en fournissant de l'eau aux écoles ou de l’eau aux établissements de santé et en s’assurant qu’il y a un suivi lorsque les enfants quittent l'école pour s'assurer qu'ils ne tombent pas dans les pires formes de mariage ou d'exploitation. Donc c'est vraiment ça notre vision, c'est apporter une aide intégrée et soutenable à chaque enfant de Madagascar. Et en effet malheureusement, du fait de la pauvreté, du fait de cette crise économique créée par la Covid, il n'y a pas seulement le Sud qui a besoin d'un soutien, mais ce soutien doit être coordonné et doit être adapté aux besoins des populations locales.
Jean-Benoit Manhes : Le changement climatique prend plusieurs formes à Madagascar, à la fois du fait de la multiplication des cyclones, des sécheresses, des inondations, mais aussi du fait de la raréfaction de l'eau et de l'érosion, ce qui conduit les populations locales parfois à des mécanismes d'adaptation qui, à court terme les servent, mais à long terme, contribuent à l'impact du changement climatique via une déforestation de masse, une certaine érosion et une utilisation parfois non soutenable des ressources naturelles.
Le but également, ça va être d'amener les partenaires qui travaillent sur l'environnement, ceux qui travaillent sur le capital humain et le secteur social, à travailler ensemble parce qu'on ne devrait pas avoir à choisir entre les enfants et les lémuriens. Mais je pense que si on veut sauver l'un, il faut sauver l'autre.
Jean-Benoit Manhes : Notre appel est à trois niveaux. Le premier est de poursuivre le plaidoyer pour rappeler que les enfants sont en première ligne. Le deuxième, c'est d’assurer que le plaidoyer n'est pas seulement le mien, mais celui des jeunes eux-mêmes et que nous allons le porter. Le troisième, c'est de s'assurer qu'il y a des réponses. C’est à dire de montrer que non seulement le gouvernement peut et doit répondre au changement climatique en le prévenant, en l’atténuant, en s’adaptant mais que ces réponses doivent aussi venir des communautés, des structures locales et qu'il faut appuyer, encourager, écouter ces communautés.
On ne peut pas s'arrêter au plaidoyer, il faut pouvoir montrer que des actions sont possibles et que ces actions, certes, sont en priorité de la responsabilité des gouvernements mais que chacun d'entre nous peut contribuer également à la lutte contre le changement climatique et ses conséquences.