A l’aune des travaux de la commission d’enquête sur l’impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier, il est apparu que l’emprise, plus large, de la criminalité organisée, sur notre ordre social, mérite une attention particulière. En réalité, le corpus juridique et institutionnel est déjà conséquent. Mais face à l’hyper-croissance débridée de la criminalité organisée, la question se pose d’une efficacité accrue des outils juridiques pour lutter contre ce phénomène.
Économiquement, politiquement, socialement, la criminalité organisée est une menace qui pèse sur la société française tout autant que sur d’autres sociétés. Trop longtemps, à tort, nous avons cru en une limitation du phénomène mafieux à la société italienne qui en aurait été la seule détentrice.
L’argumentaire ne tient plus face aux récentes manifestations criminogènes mafieuses qu’ont eu à subir les Pays-Bas et la Belgique. Il ne tient plus davantage au regard de la qualification de mafia que retiennent les autorités judiciaires italiennes pour qualifier des organisations criminelles non italiennes, ouvrant celle-ci à certaines confraternités originaires d’Afrique de l’Ouest par exemple.
D’ailleurs, en se plaçant de l’autre côté de nos frontières, des mafias ont déjà été identifiées en France. En effet, en mars 1971, le Rapport Murphy & Steele, au nom de la chambre des représentants des Etats-Unis d’Amérique, impute le trafic international d’héroïne des années 60-70 à la mafia corso-marseillaise sous le nom de « French connexion ».
Au cours des années suivantes, en 1975 puis en 1981, deux magistrats sont assassinés parce qu’ils instruisent des dossiers contre les criminalités organisées lyonnaise et marseillaise.
En 2004, avec la loi n°2004-204 du 9 mars 2004, dite « Perben II », l’arsenal juridique français a été adapté, transposant notamment les dispositions de la Convention des Nations Unies dites de Palerme du 15 novembre 2000, pour lutter efficacement contre la criminalité organisée.
Au plan juridique, elle dote les autorités judiciaires et de police d’outils offensifs qui permettent de disposer d’un arsenal sécuritaire équilibré qui préserve la balance entre efficacité des enquêtes et protection des libertés individuelles. Les sièges textuels de cet arsenal sont l’article 704 du code de procédure pénale en matière de lutte contre la criminalité organisée financière et les articles 706-73 et suivants en matière de lutte contre la criminalité organisée non financière.
Au plan juridictionnel, c’est par la création des JIRS (juridictions inter-régionales spécialisées) que le Législateur a entendu montrer sa compréhension de la criminalité organisée : spécialisation des magistrats en criminalité organisée financière et non-financière, constitutions d’équipes d’assistants spécialisés en provenance d’autres administrations et dérogation aux ressorts territoriaux définis par la carte judiciaire.
Aujourd’hui, 8 juridictions compétentes sur plusieurs ressorts de cours d’appel traitent des infractions de criminalité organisée. Celles-ci le sont :
– par nature ; c’est notamment le cas du trafic de stupéfiants, de la traite d’êtres humains, du proxénétisme ou encore du faux monnayage
– par l’aggravation de la circonstance de bande organisée ; pour certaines atteintes aux biens et aux personnes
– par la reconnaissance d’une association de malfaiteurs ou la réalisation d’opérations de blanchiment desdites infractions.
Deux éléments complémentaires essentiels s’apprécient in concreto, celui de la dimension transnationale des modalités de commission des infractions poursuivies et celui de grande complexité. Cette notion de « grande complexité », est désormais complétée par l’apport de la loi n°2019-922 du 23 mars 2019 dite « LPJ » et la notion de « très grande complexité », critère de saisine de la juridiction nationale de lutte contre la criminalité organisée (JUNALCO).
Parallèlement, des mafias étrangères (Camorra, N’Dranghetta, vory v zakone, triades, Black Axe Confraternity), se sont mises à exercer une influence croissante sur des parties du territoire national ou des dominations économiques sur des activités illicites. Les organisations criminelles autochtones, elles, ont changé, se sont rajeunies et modernisées. Le « mouvement d’ubérisation » qui les traverse est en réalité l’autre terme pour dire qu’elles se développent exponentiellement, devenant plus puissantes et plus violentes. Cette trajectoire ascendante se retrouve d’ailleurs dans les saisies de cocaïne qui ont augmenté en France de 100% entre 2020 et 2021 alors qu’elles ne représentent que 2% de la seule production colombienne.
C’est la raison pour laquelle un renouveau du dispositif législatif doit être envisagé.
Tout d’abord, si le recours aux repentis a pu démontrer son efficacité en Italie, il reste à parfaire en France. Les dispositions des articles 132-78 du code pénal et 706-63-1 et suivants du code de procédure pénale méritent plusieurs clarifications : qui sont les collaborateurs de justice ? qu’ont-ils fait ? Quelles informations fournissent-ils qui méritent quelle prise en compte ? Comment les protéger physiquement et juridiquement ? La loi du 9 mars 2004 et son décret d’application du 17 mars 2014 ont mis en place un dispositif effectif mais des réponses novatrices doivent être apportées pour plus d’efficience.
Ensuite, la spécialisation des institutions dédiées à la lutte contre la criminalité organisée doit être perfectionnée. En fait de juridictions, il y a aujourd’hui coexistence de parquets sans organisation hiérarchique spécifique entre eux, de cabinets d’instruction et de compositions de jugement correctionnel sans effectifs filiarisés ni sanctuarisés. En contrepoint, il est constaté l’absence de juridictions criminelles, de juridictions pour mineurs, de juridictions d’application des peines, de Parquets d’exécution des peines. Une démarche d’harmonisation de la chaîne pénale spécialisée dans la lutte contre la criminalité organisée est désormais impérative. Elle a déjà été suivie à juste titre en matière de lutte contre le terrorisme. Elle est tout autant nécessaire et légitime en matière de lutte contre la criminalité organisée.
Le législateur est en train de s’emparer de ces enjeux et l’on ne peut que se réjouir de cette démarche qu’il faut soutenir.