Instrument juridique permettant de mesurer la confiance du Parlement à l’égard du Gouvernement, la motion de censure n’a permis de renverser qu’un seul Gouvernement sous la Ve République. Ses règles de mise en œuvre, fortement encadrées, combinées à la logique du fait majoritaire ont conduit toutes les initiatives parlementaires – ou presque - à l’échec. La nouvelle configuration politique de l’Assemblée nationale, qui modifie profondément les équilibres institutionnels établis jusqu’alors, rend l’adoption d’une motion de censure possible, voire certaine – et, avec elle, le spectre d’un pays ingouvernable.
Aux termes de l’article 20 de la Constitution, « [le Gouvernement] est responsable devant le Parlement dans les conditions et suivant les procédures prévues aux articles 49 et 50 ». La motion de censure, qui est prévue par les alinéas 2 et 3 de l’article 49 de la Constitution, permet ainsi d’engager la responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale – et uniquement devant elle – à tout moment de la législature. Elle constitue, avec la question de confiance visée par l’alinéa 1er de l’article 49, un instrument juridique de mesure de la confiance politique des représentants de la nation élus au suffrage universel direct à l’égard du Gouvernement. Tout comme le droit de dissolution, elle est un élément caractéristique d’un régime parlementaire qui repose sur le principe selon lequel un Gouvernement ne peut agir sans l’appui du Parlement. En l’absence d’une telle confiance, dans l’hypothèse notamment où une motion de censure serait adoptée, l’article 50 de la Constitution oblige le Premier ministre à remettre au président de la République la démission collective du Gouvernement.
La motion de censure est prévue dans deux hypothèses distinctes. L’article 49 alinéa 2 prévoit un mécanisme spontané de motion de censure. Le déclenchement de la responsabilité du Gouvernement est donc placé entre les mains des parlementaires. La motion de censure visée par l’alinéa 3 est conditionnée par une décision du Premier ministre, après délibération en conseil des ministres, d’engager la responsabilité du Gouvernement sur un texte. La motion de censure est alors provoquée. Bien que fréquemment utilisée (64 motions de censure déposées sur le fondement de l’article 49 al. 2 ; 81 sur le fondement de l’article 49 al. 3), la motion de censure n’a conduit au renversement que d’un seul Gouvernement en 1962, dans un contexte exceptionnel d’utilisation du référendum (art. 11 C.) pour modifier la Constitution et introduire le suffrage universel direct pour l’élection du président de la République. Plus qu’une remise en cause du Gouvernement, il s’agissait de contester la décision du chef de l’État et ainsi de contourner l’absence de responsabilité politique de ce dernier. L’apparition du fait majoritaire, à la suite de cette révision constitutionnelle, combinée à un encadrement très strict des conditions de mise en jeu de la responsabilité du Gouvernement ont relégué la responsabilité du Gouvernement à un simple principe théorique et la motion de censure à un outil de débat permettant à l’opposition des prises de position solennelles et visibles de l’électorat. En 1958, sous l’effet de la rationalisation du parlementarisme, les conditions de mise en jeu ont, en effet, été considérablement durcies rendant l’engagement de responsabilité très difficile. Dans les deux hypothèses visées par l’article 49, les conditions de dépôt sont les mêmes. Une motion de censure peut être déposée par 1/10e des députés, soit 58. Sauf dans le cas d’une motion de censure provoquée, chaque parlementaire ne peut être signataire de plus de trois motions par session ordinaire et une par session extraordinaire. Pour permettre à l’agitation de s’apaiser et au Gouvernement de convaincre les parlementaires hésitants, il est prévu que le vote intervienne 48 h après le dépôt. Par ailleurs, autre aménagement en faveur du Gouvernement, seuls les votes favorables à la motion de censure sont décomptés. Ainsi, les abstentions sont présumées lui bénéficier. Enfin, la motion ne peut être adoptée qu’à la majorité des membres composant l’Assemblée nationale, la majorité absolue étant ainsi fixée à 289 si tous les sièges sont effectivement pourvus.
Le principe cardinal en régime parlementaire de responsabilité du Gouvernement devant le Parlement, explicitement énoncé à l’article 20 de la Constitution, s’est ainsi rapidement effacé au profit d’une responsabilité devant le seul président de la République.
La formation du Gouvernement ne peut se faire sans tenir compte de la menace que la motion de censure fait peser sur l’équilibre institutionnel, dès lors que la XVIIe législature a (momentanément ?) écarté le fait majoritaire. Déjà en contexte de majorité relative, certaines motions de censure n’ont pas été adoptées à quelques voix seulement (ex. Bérégovoy en 1992 ; Borne en 2023), les oppositions refusant de voter pour les motions de censure déposées par un groupe idéologiquement opposé, dans un contexte de bipolarisation plus ou moins complexe. Si cela ne va pas de soi, la motion de censure étant, en théorie, une motion contre le Gouvernement (et non contre une autre formation politique), cette pratique a empêché jusqu’alors le renversement du Gouvernement.
Le fait minoritaire, tel qui résulte de l’équilibre politique tripartite de la XVIIe législature, présente au moins une certitude : la motion de censure va de nouveau se présenter comme un instrument de pression du Parlement sur le Gouvernement. La motion de censure aura sans doute vocation à jouer dans les deux hypothèses. Un Gouvernement ne pourra se constituer sans risquer la censure sur le fondement de l’article 49 al. 2 s’il ne dispose pas de la confiance de la majorité de l’Assemblée nationale, ou plutôt s’il suscite la défiance de la majorité. Dit autrement, des Gouvernements trop radicalisés vont inévitablement se heurter à la censure. Il n’est d’ailleurs pas exclu que le Rassemblement national vote ainsi les motions de censure des autres formations politiques, l’inverse étant en revanche peu probable. Il risque d’ailleurs de devenir le métronome des motions de censure, d’autant que les stratégies politiques l’ont privé de postes à responsabilité à l’Assemblée nationale. Par ailleurs, si un Gouvernement, qui en réalité ne pourra être que modéré et de coalition, souhaite gouverner par le mécanisme de l’article 49 al. 3 (engagement de responsabilité sur un texte), il devra être assuré de la confiance d’une majorité, fusse-t-elle éphémère ou à géométrie variable. Il est à craindre que personne n’y trouve son intérêt. Le spectre d’une nouvelle dissolution plane alors sur l’Assemblée nationale et, avec elle, l’enfoncement de la démocratie représentative dans la crise.