Le mardi 4 mars, le parquet de Nanterre a requis un procès pour meurtre à l’encontre du policier ayant tiré sur Nahel le 27 juin 2023, alors que son véhicule faisait l’objet d’un contrôle. Pourquoi le parquet a-t-il retenu cette qualification et quelles peuvent être les suites judiciaires ?
Le fait que le tir du policier ait entraîné la mort du jeune Nahel n’étant pas contesté, deux qualifications pénales sont théoriquement envisageables.
Premièrement, celle de meurtre, prévue à l’article 221-1 du Code pénal. Elle suppose que l’auteur des faits a eu l’intention de tuer la victime. Secondement, celle de violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner, prévue à l’article 222-7 du Code pénal. Elle implique que l’auteur des faits a eu l’intention de se montrer violent avec la victime – par exemple, en la blessant -, mais pas de la tuer.
La différence entre ces deux infractions réside dans l’état d’esprit qui anime l’auteur des faits au moment de son geste : c’est ce que l’on appelle l’élément moral (ou psychologique) de l’infraction. Face à un décès résultant d’un acte violent, les magistrats (juges et procureurs), pour apprécier cet état d’esprit, s’appuient essentiellement sur des indices matériels : circonstances de commission des faits, nature des violences (avec ou sans arme), zones du corps visées (vitales ou non), etc.
En l’occurrence, si le policier Florian M. conteste avoir voulu donner la mort à l’adolescent, ses propos n’ont pas convaincu le parquet. Dans son réquisitoire définitif, ce dernier relève notamment qu’il « n’a pas hésité à faire usage d’une arme dont il connaissait parfaitement la portée dangereuse, voire létale », et ce « à très faible distance ». Il note qu’« un tir à travers le pare-brise exposait nécessairement les parties vitales du corps de la victime, de sorte que le policier, par ce tir, ne pouvait ignorer qu’il exposait Nahel à la mort ». Il note d’ailleurs que « si l’objectif de Florian M. était exclusivement d’empêcher le conducteur de redémarrer, il lui était possible de tirer sur le capot ou les pneus du véhicule ». L’ensemble de ces circonstances conduisent logiquement le ministère public à estimer que l’intention de tuer, et donc le meurtre, sont caractérisés.
Si une infraction intentionnelle – y compris un meurtre – est commise en situation de légitime défense, son auteur échappe à toute responsabilité pénale. L’enjeu autour de cette notion est donc de taille.
Le cadre classique de la légitime défense est prévu à l’article 122-5 du Code pénal. Toutefois, depuis 2017, un autre cadre de légitime défense facilitant sa caractérisation au bénéfice des forces de l’ordre est prévu à l’article L435-1 du Code de la sécurité intérieure. Ce texte permet aux policiers de faire usage de leur arme « en cas d’absolue nécessité » et « de manière strictement proportionnée », dès lors que « des atteintes à la vie ou à l’intégrité physique sont portées contre eux » ou s’ils « ne peuvent immobiliser autrement un véhicule dont les occupants sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celle d’autrui ». C’est sur ce fondement que tente de s’appuyer le policier pour échapper aux poursuites pénales, en soulignant que si le véhicule conduit par Nahel avait redémarré, lui-même, son collègue policier ou des passants auraient pu être renversés.
Toutefois, cette analyse est rejetée par le parquet. Certes, le réquisitoire reconnait « le comportement particulièrement dangereux » de Nahel lors de la course-poursuite qui a précédé. Toutefois, il ajoute qu’ « au moment précis des faits, alors que son véhicule était bloqué dans le flot de la circulation et même s’il tentait de redémarrer, il n’apparaît pas qu’il ait présenté un danger immédiat pour la vie de Florian M. ou celle de son collègue. » Par ailleurs, d’après le parquet, « Florian M., au moment du tir, ne pouvait anticiper la trajectoire future du véhicule, nonobstant le périple antérieur ayant pu lui laisser penser que Nahel finirait par provoquer un accident. » Ce raisonnement paraît logique, puisqu’admettre le contraire reviendrait à permettre aux policiers de faire systématiquement usage de leurs armes en cas de fuite (au motif que le risque zéro d’accident n’existe pas), ce qui serait disproportionné. Le parquet conclut que le tir s’expliquait moins par sa volonté de protéger autrui que par « l’état de tension extrême dans lequel la scène a eu lieu. » Dans ces conditions, aux yeux du ministère public, la légitime défense n’est pas caractérisée.
Il appartient désormais aux deux juges d’instruction saisis de l’affaire de se prononcer sur la suite procédurale. A priori, trois possibilités s’offrent à eux.
Premièrement, suivre le réquisitoire du parquet et rendre une ordonnance de mise en accusation contre Florian M. du chef de meurtre. Il serait alors renvoyé devant une cour d’assises – composée en première instance de trois juges professionnels et six jurés populaires – où il encourrait une peine de tente ans de réclusion criminelle. À noter qu’aussi étrange que cela puisse paraître, la qualité de policier de l’auteur des faits ne constitue pas une circonstance aggravante du meurtre, bien qu’elle soit une circonstance aggravante des infractions de violences volontaires…
Deuxièmement, rendre une ordonnance de mise en accusation contre le policier pour des faits de violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner, aggravés (cette fois) par sa qualité de policier. Il serait alors jugé par une cour criminelle départementale – sans jurés, car composée uniquement de cinq juges professionnels – et s’exposerait à une peine maximale de 20 ans de réclusion criminelle (article 222-8, 7° du Code pénal).
Troisièmement, rendre une ordonnance de non-lieu, si les juges d’instruction étaient convaincus par la thèse de la légitime défense. Dans cette hypothèse, le policier auteur du tir échapperait à toute condamnation pénale.
Quelle que soit la décision rendue par les juges d’instruction, il est vraisemblable qu’elle fera l’objet d’un appel devant la chambre de l’instruction, ce qui retardera la tenue d’un éventuel procès.