Laïcité dans le sport : une exception française

 |  par Rédaction Patmedias avec Mathieu Maisonneuve, Professeur de droit public à l’Université d’Aix-Marseille

Le 12 mars, devant la commission des affaires culturelles de l’Assemblée, la ministre des Sports, Marie Barsacq, appelait à ne pas confondre le port du voile avec l’entrisme islamiste dans le milieu sportif. Une évidence qui a pourtant suscité la polémique et provoqué des remous jusqu’au sein du gouvernement. Au point que François Bayrou a dû promettre que la proposition de loi sur la laïcité dans le sport, récemment adoptée au Sénat, serait inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée dans les meilleurs délais.

Que contient la proposition de loi sur le respect de la laïcité dans le sport ?

Sa disposition « phare » vise à interdire le port de tout signe ou tenue manifestant ostensiblement une appartenance politique ou religieuse aux acteurs des compétitions nationales ou locales, organisées par les fédérations sportives délégataires, leurs organes déconcentrés, leurs ligues professionnelles ou leurs associations affiliées. À charge pour chaque fédération ou ligue compétente d’en sanctionner disciplinairement les éventuelles violations. Qu’il s’agisse du port du voile ou de tout autre tenue ou signe religieux ostensible. Comme le sont certains tatouages de footballeurs évoluant en Ligue 1 par exemple.

En l’état actuel du droit français, il revient à chaque fédération concernée de décider d’user de son pouvoir réglementaire pour poser une telle interdiction dans le cas où cela s’avérerait nécessaire pour assurer le bon fonctionnement du service public dont elle a la charge ou la protection des droits et libertés d’autrui. Dans l’arrêt Alliance citoyenne et autres qu’il a rendu le 29 juin 2023 dans l’affaire dite des « hijabeuses », le Conseil d’État a ainsi jugé légale l’interdiction édictée par la Fédération française de football (FFF), au motif qu’elle serait nécessaire pour assurer le bon déroulement des matchs « en prévenant notamment tout affrontement ou confrontation sans lien avec le sport ». Par la suite, les fédérations françaises de basket, de volley, de rugby, ou encore de tir, ont choisi de faire de même. La plupart des fédérations ont toutefois préféré éviter de prendre formellement position. En effet, il n’est pas évident que les considérations qui ont pu justifier, aux yeux du Conseil d’État, la légalité de l’interdiction dans le football, compte tenu des tensions particulières que ce sport peut susciter, soient transposables à tous les autres sports.

Les autres dispositions de la proposition de loi sont avant tout des dispositions d’affichage. Il en va ainsi, au dernier alinéa de son article 1er, de l’interdiction faite aux personnes sélectionnées en équipe de France par une fédération délégataire de porter un signe ou une tenue ostensiblement politique ou religieux, qui s’impose déjà à elles en application de l’arrêt précité du 29 juin 2023 (de même sans doute qu’aux membres de la délégation française aux Jeux olympiques et paralympiques, sans que le texte ne le précise, et sans que ce dernier n’ait étendu l’interdiction aux équipes nationales des fédérations simplement agréées, comme la fédération française du sport universitaire). Il en va également ainsi de l’article 3 de la proposition qui, en reprenant peu ou prou les termes de l’ordonnance Commune de Grenoble du Conseil d’État en date du 21 juin 2022, interdit que les règlements des piscines publiques contiennent des adaptations fortement dérogatoires à la règle commune, qui auraient pour objet d’autoriser le port du seul burkini. Son article 2 rappelle quant à lui que l’utilisation, pour les besoins de la pratique sportive, d’un équipement sportif d’une collectivité territoriale et des locaux attenants exclut tout usage pour l’exercice d’un culte (comme des prières collectives), ce qui était déjà le cas en application du droit commun.

De quelle laïcité cette proposition de loi est-elle le nom ?

Il s’agit du retour à une « laïcité de combat », par opposition à la « laïcité apaisée », qui s’est progressivement dessinée dans la jurisprudence du Conseil d’État. L’interdiction du port de signe ou de tenue à caractère religieux par les participants aux compétitions nationales ou locales n’a pas pour objet d’assurer la neutralité de ceux qui incarnent une personne publique ou un service public. Il s’agit de lutter contre l’entrisme islamiste dont le sport serait l’un des vecteurs en limitant la liberté de religion de simples compétiteurs, bien au-delà de ceux représentant la France dans les compétitions internationales. Que la menace soit réelle ou exagérée, les travaux sénatoriaux sont sans ambiguïté sur le but de la proposition de loi.

Dans son arrêt du 29 juin 2023 Alliance citoyenne, le Conseil d’État avait clairement distingué la situation des membres des équipes de France sélectionnés par les fédérations délégataires, auxquels s’appliquent le principe de neutralité du service public, de celle des autres licenciés, simples usagers du service public de l’organisation des compétitions, qui sont en principe libres de manifester leurs opinions et convictions religieuses, dans la limite des nécessités du bon fonctionnement du service ou de la protection des droits et libertés d’autrui. Sans doute l’arrêt, rendu aux conclusions contraires du rapporteur public, a-t-il fait prévaloir une conception exagérément extensive des nécessités susceptibles de justifier une limite à la liberté de religion des usagers (le risque d’affrontement ou confrontation sans lien avec le sport que pourrait notamment provoquer le port d’un hijab par une joueuse étant plus affirmé qu’avéré). Il n’en reste pas moins que la décision rendue repose sur une logique classique : principe de laïcité pour les agents et assimilés du service public ; principe de liberté religieuse pour les usagers des services publics. La proposition de loi, elle, soumet les uns et les autres à un principe de neutralité.

Une interdiction aussi générale et absolue, quand bien même elle ne concerne pas les entrainements ou la pratique dans les salles fitness, est-elle conforme à la Constitution ou au droit international ? Pas pour les experts indépendants de l’ONU qui, dans une communication du 22 octobre 2024 très critique à l’égard des limites au port du hijab dans le sport en France, dénonçant notamment les « amalgames qui semblent être fait entre l’expression légitime d’une identité et d’une croyance dans l’espace publique et une atteinte à l’ordre public », estimaient que la proposition de loi en cours de discussion n’était ni nécessaire ni proportionnée pour atteindre un objectif légitime et était susceptible de créer une discrimination indirecte. Certes, alors que la proposition de loi prévoyait initialement d’interdire les signes et tenues religieux dans les compétitions organisées en France par toutes les fédérations sportives, y compris non agréées et simplement agréées, la version adoptée par le Sénat limite l’interdiction aux compétitions organisées par les seules fédérations délégataires ou leurs ligues. Il n’est toutefois pas évident que cette réduction de son champ d’application suffise à assurer sa comptabilité avec la Convention européenne des droits de l’homme.

Peut-on parler d’une exception française concernant la laïcité dans le sport ?

Si la proposition de loi adoptée au Sénat venait à être définitivement adoptée, la France deviendrait le seul pays au monde à disposer d’une loi interdisant le port de signes ou de tenues religieux dans les compétitions sportives. Cela renforcerait encore la singularité française.

À ce jour, les interdictions posées par certaines fédérations françaises, sur le fondement de la jurisprudence administrative, font en effet déjà figurent d’exception. Non seulement au regard des droits étrangers, l’arrêt sur les « hijabeuses » n’ayant pas d’équivalent ailleurs (selon une étude réalisée en 2024 par Amnesty international dans 38 pays d’Europe, aucune fédération nationale n’interdirait le port du hijab), mais aussi par rapport à la lex sportiva. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la proposition de loi exclut les compétitions internationales organisées en France du champ d’application de l’interdiction posée. Il est certes exact, comme cela est parfois avancé pour tenter de justifier la proposition de loi française par un principe sportif de neutralité plutôt que par une conception discutable de la laïcité, que la Charte olympique prévoit qu’« aucune sorte de démonstration ou de propagande politique, religieuse ou raciale n’est autorisée dans un lieu, site ou autre emplacement olympique » (règle 50.2). Mais le CIO, ne serait-ce que pour concilier cette règle avec le principe de non-discrimination en raison de la religion également consacré par la Charte, ne considère nullement que cette règle prohiberait le port du voile. Il en va de même de la plupart des fédérations sportives internationales. Certaines d’entre elles, comme la FIFA, l’autorisent même expressément.

On peut très bien le regretter, estimant que les institutions sportives internationales sacrifieraient les valeurs universelles du sport sur l’autel des particularismes religieux. Comme on peut considérer que la brève interruption des matchs pour rompre le jeun en période de ramadan permise par l’UEFA, mais interdite par la FFF (sans qu’à ce stade la proposition de loi sur la laïcité dans le sport n’ait entrepris de la conforter), constituerait un accommodement déraisonnable. En revanche, on ne peut pas nier que, sur la neutralité religieuse dans le sport, le droit français est lancé dans une échappée solitaire.



Mots clés de l'article

Partager cet article
Vos commentaires

Manuel Valls annonce un projet de loi contre la vie chère en Outre-mer
Politique

Manuel Valls annonce un projet de loi contre la vie chère en Outre-mer

Il s'agit d'«un plan de bataille complet et structurel qui s’attaque méthodiquement à tous les facteurs expliquant la cherté de la vie», a déclaré le ministre…
Transport aérien inter-îles dans les Caraïbes : Air Caraïbes et Air Antilles épinglés par l’Autorité de la concurrence
Économie

Transport aérien inter-îles dans les Caraïbes : Air Caraïbes et Air Antilles épinglés par l’Autorité de la concurrence

Les deux compagnies aériennes ont écopé de 14,5 millions d’euros de sanctions pour entente illégale. Accusées de s’être accordées sur les prix de leurs li…
Airbag Takata : de qui se moquent les constructeurs ?
Société

Airbag Takata : de qui se moquent les constructeurs ?

La recherche du moins disant, les petites économies d'un jour. Tout se paye un jour. Le rappel des airbags chez Citroën prend de l'ampleur et a de quoi inquié…
Accord UE-Mercosur : signature imminente ou nouvel épisode d’une interminable saga ?
Europe

Accord UE-Mercosur : signature imminente ou nouvel épisode d’une interminable saga ?

Dans un contexte marqué par les négociations autour de l'accord commercial entre l'Europe et le Mercosur, le G20 s'ouvre ce lundi 18 novembre à Rio. Alors que…
Où en est l’accord de trêve entre Israël et le Hamas ?
Monde

Où en est l’accord de trêve entre Israël et le Hamas ?

Le 2 mars 2025, alors que devait démarrer la deuxième phase de l’accord du 15 janvier 2025 entre Israël et le Hamas, pour un cessez-le-feu à Gaza et la libérat…
Matinale: sur les toits du monde
Santé-Environnement

Matinale : sur les toits du monde

Les éléphants sont présents dans sa vie depuis son plus jeune âge et créer le “Voyage en soi sur la terre des éléphants”, est devenu une évidence. C'est comme…
Le bambou : révolution philosophique, poétique et musicale
Culture

Le bambou : révolution philosophique, poétique et musicale

Et si la clé pour réenchanter le monde était secrètement gardé dans cette plante que certains surnomment l’herbe miraculeuse ? Vous ne le savez peut-être pas…
Équipe olympique des réfugiés : un flambeau « d’espoir et de paix »
Sports

Équipe olympique des réfugiés : un flambeau « d’espoir et de paix »

37 athlètes réfugiés ont participé aux Jeux olympiques de Paris 2024. Il s’agit de la plus grande équipe depuis la création des équipes de réfugiés du Comité i…
A Lyon, Taylor Swift a mis les fans en ébullition
People

A Lyon, Taylor Swift a mis les fans en ébullition

Présentes dans la nuit de samedi à dimanche et présentes en très grand nombre ce dimanche matin, les Swifities s'apprêtent à fouler la pelouse du Groupama Stad…

Veuillez activer le javascript sur cette page pour pouvoir valider le formulaire



©2021 Patmédias, tous droits réservés - Réalisation agence web corse

Haut de page