La proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic est arrivé à l’Assemblée nationale le 17 mars. Entre avancées et critiques, ce texte marque-t-il un tournant dans la stratégie de lutte contre la criminalité organisée ?
Cette proposition d’origine transpartisane est issue du rapport sénatorial publié le 14 mai 2024, après plusieurs mois d’auditions menées par la commission d’enquête sur l’impact du narcotrafic en France lancée en novembre 2023. Les sénateurs Jérôme Durain (PS) et Étienne Blanc (LR), rédacteurs du rapport et à l’origine de la proposition, portent le texte avec Muriel Jourda (LR) devant le Sénat.
Après un vote à l’unanimité (339 sénateurs étaient présents), la navette législative poursuit son chemin vers l’Assemblée nationale. Elle devra examiner le texte déjà étudié par la commission des lois entre le 17 février et le 6 mars derniers.
La proposition de loi vise à doter les autorités de nouveaux outils pour lutter contre des phénomènes criminels transnationaux particulièrement dynamiques, dont la commission d’enquête a dressé le constat. Depuis son dépôt, le texte a été remanié et enrichi, tout en conservant son esprit. Son architecture repose notamment sur la création d’une nouvelle structure institutionnelle, composée d’un État-major et du Parquet national anticriminalité organisée (Titre I), chargés d’assurer la coordination entre les différents services compétents.
Par ailleurs, la proposition amorce une première réflexion, encore inaboutie, sur les phénomènes de blanchiment (Titre II) et de corruption (Titre VI), en mettant l’accent sur le renforcement des mécanismes à disposition de l’administration locale et des services douaniers.
Toutefois, le cœur du texte – et le principal sujet de controverse – réside dans les dispositions relatives au renseignement administratif (Titre IV), à la répression pénale et à la lutte contre le trafic en ligne (Titre III), ainsi qu’aux mesures de procédure pénale et aux techniques spéciales d’enquête (Titre IV), qui devraient cristalliser les débats.
Initialement pensée pour « sortir la France du piège du narcotrafic », on s’aperçoit très rapidement que les discussions se sont orientées vers une vision plus générale de la criminalité organisée. Est-ce pertinent ? Oui, mais le texte manque d’une réflexion d’ensemble et d’harmonisation. Par exemple, il aurait été bienvenu d’expliciter une définition et une délimitation des phénomènes criminels. Les infractions relevant de la criminalité organisée concernent essentiellement le trafic de stupéfiants (national et international), mais la notion englobe également d’autres infractions d’une très grande complexité, listées aux articles 706-73 et 706-74 du Code de procédure pénale.
La création d’une nouvelle structure institutionnelle paraît en bonne voie : un nouvel état-major (art. 1) et le Parquet national anticriminalité organisée (art. 2) remplacent la proposition d’un renforcement de l’OFAST et l’idée de créer un parquet spécialisé en matière de stupéfiants. La consécration d’un système de justice spécialisée (art. 13) matérialise également l’un des principaux objectifs de la proposition de loi. Cependant, les articulations avec les juridictions existantes (JUNALCO, JIRS, « infra-JIRS », PNF, juridiction des mineurs) restent à clarifier.
Par conséquent, après lecture du texte, on constate, d’une part, que certaines mesures sont exclusivement pensées pour s’attaquer au trafic de stupéfiants, en négligeant leur éventuelle application à d’autres infractions ou en minimisant les interconnexions entre les multiples phénomènes criminels de type organisé. D’autre part, la proposition manque d’une identification claire des différents niveaux du spectre criminel (bas, moyen et haut) que les mesures entendent cibler. Ainsi, le texte combine de manière aléatoire des dispositions visant le bas du spectre (art. 18 ainsi que certaines mesures concernant les mineurs), tandis que d’autres semblent exclusivement destinées au haut du spectre. En ce sens, l’objectif principal de la loi, qui est de s’attaquer à la criminalité de grande complexité, n’est pas pleinement atteint.
Les critiques à l’égard du texte résident essentiellement dans l’absence de précision sur l’ampleur des moyens alloués pour soutenir l’ambitieux dispositif législatif, ainsi que sur l’évaluation des différentes mesures qui seront mises en place. De plus, la transversalité du traitement du phénomène criminel, qui était l’un des objectifs de la proposition, est jugée insuffisante par les détracteurs de la loi. La proposition de loi s’inscrit, et cela a été assumé par ses rédacteurs, dans une approche répressive. De ce fait, d’autres perspectives complémentaires sont très peu, voire pas du tout développées par le texte (prévention, criminalité financière, victimisation).
Au vu de la complexité des mesures, il serait trop ambitieux d’espérer que les discussions parlementaires intègrent ces éléments à la dernière minute. Il reste à espérer que ces lacunes soient comblées par de futures propositions.
Cette proposition de loi a cependant le grand mérite de sortir le législateur de l’aveuglement face à l’existence de phénomènes criminels de grande ampleur en France et d’initier un mouvement de réflexion sur le sujet. La machine législative, dans la lutte contre des phénomènes criminels transnationaux et extrêmement dynamiques qui nuisent à nos démocraties, est lancée.