Le tribunal administratif a annulé la délibération de la CTM de mai 2023 faisant du créole la langue officielle de la Martinique au côté du Français.
« L'article 1er de la délibération de l'Assemblée de Martinique de 25 mai 2023 est annulé », écrivent les trois magistrats dans leur jugement de cinq pages. Réunis en séance plénière en mai 2023, quelques jours après les célébrations du 175e anniversaire de l'abolition de l'esclavage en Martinique, les élus de l'Assemblée territoriale avaient adopté un texte dont l'article 1er faisait du créole la langue officielle de la Martinique, au même titre que le français. Garant du contrôle de la légalité des actes des collectivités locales, le préfet de Martinique, Jean-Christophe Bouvier, avait mis en demeure la CTM de retirer cette délibération, puis déposé un recours devant le tribunal administratif de Fort-de-France.
En novembre 2023, le représentant de l'État avait obtenu la suspension de cette délibération devant la cour administrative d'appel de Bordeaux, compétente pour plusieurs ressorts d'outre-mer, après avoir été débouté en première instance par la juridiction martiniquaise. La CTM avait alors fait connaître son intention de «se pourvoir en cassation devant le Conseil d'Etat». « L'usage du français s'impose aux personnes morales de droit public », ont écrit jeudi les juges du tribunal administratif de Fort-de-France, invoquant l'article 2 de la Constitution et la loi du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française.
Dès lors, « l'article 1er de la délibération de 25 mai 2023 de l'Assemblée de Martinique (...) méconnaît les dispositions précitées », ajoutent les magistrats. Cette annulation « ne remet pas en cause le droit de tout un chacun d'utiliser le créole » au quotidien, ni « le statut de langue régionale dont bénéficie le créole martiniquais », précise le tribunal dans un communiqué.
Autrement dit, Martiniquais, vous êtes bien français. Le créole, oui, mais entre vous et sur votre territoire. N'en déplaise à Serge Letchimy, Président de l'Exécutif de l'assemblée territoriale de Martinique. Dans une note, ce dernier demandait « à l’ensemble des agents de la Collectivité Territoriale de Martinique, d’introduire des mots ou expressions en créole dans chaque document administratif et de bannir définitivement les expressions et les termes à connotation coloniale » .
Il est vrai que de l’empire français ne subsistent que les plus anciennes colonies qui sont graduellement devenues départements et territoires d’outre-mer (DOM-TOM) : Guyane, Guadeloupe, Réunion, Martinique, Polynésie française, Mayotte, Wallis et Futuna, Saint-Pierre et Miquelon, et Nouvelle-Calédonie.
DOM-TOM : cette appellation n'a, aujourd'hui, plus aucune valeur juridique. Si on l'utilise encore, c'est par abus de langage ou par simple habitude. En effet, une réforme constitutionnelle de 2003, a remplacé le nom des Départements d'Outre-Mer et Territoires d'Outre-Mer (DOM-TOM) par les Départements ou Régions français d'Outre-Mer (DROM) et les Collectivités d'Outre-Mer (COM).
Tous les DROM sont soumis aux lois françaises mais avec la possibilité d’avoir recours à certains assouplissements compte tenu de leur position géographique. Par conséquent, les DROM bénéficient d’un peu plus d’autonomie que les autres départements et régions français.
Mais que faut-il comprendre par l'allusion contenue dans la note de Serge Letchimy « des termes à connotation coloniale » ?
Le président de la CTM parle t-il des mots « nègre », « race », « mission civilisatrice » ? On ne pourrait l'imaginer. Il serait sans doute question de « MAUX » à « connotation coloniale ». Ça peut s'entendre et se défendre.
Dans leur ouvrage « Les mots de la colonisation », Sophie Dulucq, Jean-François Klein et Benjamin Stora traitent de cette question. Ces auteurs reconnaissent que « Le passé colonial constitue l’un des points de cristallisation de la réflexion fébrile qui s’est nouée çà et là autour de l’« identité nationale », au sein d’une société française éminemment diverse dans ses origines ».
Faut-il alors laisser penser que l'indigénat est toujours en vigueur en Martinique ? Pour rappel, il s'agit d'un régime administratif spécial s'appliquant à la population native d'un pays, et qui se caractérise par l'absence du droit de vote, l'assujettissement à des impôts particuliers et l'absence des libertés essentielles, telles que la liberté d'expression ou d'association. Est-ce le cas en Martinique ?
La réponse est manifestement évidente.
Depuis 2008, l'article 75-1 de la Constitution française de 1958 reconnaît les langues régionales comme appartenant au patrimoine de la France. Aucune n'a cependant statut de langue officielle, qui est celui du seul français. La position de la France à l’égard des droits des minorités linguistiques n'en est pas moins ambivalente puisqu'elle admet que la quasi-totalité des langues régionales soient enseignées à l'école publique à titre facultatif ou optionnel, tout en adoptant constamment sur le plan international une politique " anti-minorités ".
Si la population française n'est pas homogène sur les plans culturel ou sociologique, elle l'est dans la mesure où les citoyens français possèdent tous le même statut juridique, quelles que soient leurs origines, leur culture ou leur religion.
Dans sa dernière décision le tribunal s'est donc appuyé sur une définition « juridique et non pas sociologique du peuple français » .